Circulaire ministérielle du 30 mars 2022
n° 6338/SG
Paris, le 30 mars 2022
à
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les ministres délégués,
Mesdames et Messieurs les secrétaires d’État,
Mesdames et Messieurs les secrétaires généraux,
Mesdames et messieurs les préfets
Objet : Circulaire relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le
contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières.
Référence n° 6338/SG
Date de 27 mars 2022
signature
Emetteur PRM – Premier ministre
Objet Conditions d’exécution et de modification des contrats de la commande
publique dans le contexte de hausse des prix de certaines matières
premières
L’instabilité et l’envolée sans précédent des prix de certaines matières premières, tout
particulièrement du gaz et du pétrole, constituent une circonstance exceptionnelle.de nature à
affecter gravement, dans plusieurs secteurs d’activité, les conditions d’exécution des contrats,
voire leur équilibre économique, et à mettre en danger la pérennité de nombreuses entreprises
ainsi que l’emploi de leurs salariés, et par voie de conséquence la continuité même des
services publics.
C’est pourquoi, dans le cadre de la passation et l’exécution des contrats de la commande
publique (marchés publics comme contrats de concession), je vous demande de veiller à ce
que vos services respectent les consignes ci-dessous et d’inviter les opérateurs de l’État
placés sous votre tutelle à suivre les mêmes recommandations.
Je demande aussi aux préfets de sensibiliser les collectivités locales et leurs établissements
publics à l’importance des principes et règles énoncés ci-après.
- La modification des contrats de la commande publique en cours, lorsqu’elle est
nécessaire à la poursuite de leur exécution
La pénurie des matières premières et la hausse des prix des approvisionnements sont
susceptibles d’avoir des conséquences sur les conditions techniques d’exécution des contrats.
Elles peuvent notamment rendre nécessaire une modification de leurs spécifications, par
exemple en substituant un matériau à celui initialement prévu et devenu introuvable ou trop
cher, en modifiant les quantités ou le périmètre des prestations à fournir, ou en aménageant
les conditions et délais de réalisation des prestations pour pallier les difficultés provoquées par
cette situation.
Dans ces hypothèses, il est possible de recourir aux différents cas de modification des contrats
en cours d’exécution prévus par le code de la commande publique, notamment par ses articles
R. 2194-5 et R. 3135-5 qui, dès lors que ces modifications sont rendues nécessaires par des
circonstances qu’une autorité contractante diligente ne pouvait pas prévoir lorsque le contrat
a été passé, autorisent des modifications du contrat:
- pouvant atteindre, à chaque modification rendue nécessaire, 50 % du montant initial pour les
contrats de la commande publique conclus par des pouvoirs adjudicateurs ; - et sans plafond pour les contrats de la commande publique conclus par des entités
adjudicatrices intervenant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des
services postaux.
En revanche, l’acheteur ne doit pas utiliser ces dispositions pour modifier par voie d’avenant
les clauses fixant le prix lorsque cette modification du prix n’est pas liée à une modification du
périmètre, des spécifications ou des conditions d’exécution du contrat.
- L’application de la théorie de l’imprévision aux contrats administratifs
La théorie de l’imprévision, codifiée au 3° de l’article L.6 du code de la commande publique,
prévoit, en cas de survenance d’un « événement extérieur aux parties, imprévisibles et
bouleversant temporairement l’équilibre du contrat», que le cocontractant qui en poursuit
l’exécution a droit à une indemnité. Cette indemnité a pour objet de compenser une partie des
charges supplémentaires, généralement qualifiées d’« extracontractue/les », parce que non
prévues lors de la conclusion du contrat, qui entraînent le bouleversement de son équilibre.
3.-
En principe, il n’y a pas lieu de recourir à la théorie de l’imprévision lorsque le marché comporte
un mécanisme de révision de prix en fonction de la conjoncture économique. Toutefois, le droit
du titulaire à indemnité peut être reconnu lorsque, même après application des clauses
contractuelles, l’économie du contrat est bouleversée.
Si la hausse exceptionnelle du prix du gaz et du pétrole constatée depuis le dernier trimestre
2021, dont l’ampleur est accentuée par la crise en Ukraine, est sans conteste imprévisible et
extérieure aux parties, tout comme la flambée du prix de certaines matières premières, la
condition tenant au bouleversement de l’économie des marchés doit en revanche être
analysée au cas par cas en tenant compte des spécificités du secteur économique et des
justifications apportées par l’entreprise.
L’imprévision n’est admise que si « l’économie du contrat se trouve absolument bouleversée »
(CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n° 59928). Ce
bouleversement doit entraîner dans le cadre de l’exécution du contrat un déficit réellement
important et non un simple manque à gagner.
Il convient donc de procéder à la détermination des charges extracontractuelles qui pèsent sur
le contrat du fait de l’augmentation exceptionnelle des prix, qu’il s’agisse de celui de l’énergie
ou de celui de certaines matières premières à l’exclusion des autres causes ayant pu
occasionner des pertes à l’entreprise. Ces charges sont appréciées par rapport à l’exécution
du marché au coût estimé initialement pour des conditions économiques normales. Elles
doivent être déterminées au cas par cas au vu de justifications comptables. Le titulaire doit
donc être en mesure de justifier, d’une part, son prix de revient et sa marge bénéficiaire au
moment où il a remis son offre et, d’autre part, ses débours au cours de l’exécution du marché.
Le cas échéant, il conviendra de tenir compte de la différence entre l’évolution réelle des coûts
et celle résultant de l’application de la formule de révision.
Si la jurisprudence ne fixe pas de seuil unique au-delà duquel elle reconnaît un tel
bouleversement, cette condition n’est, en principe, considérée comme remplie que lorsque les
charges extracontractuelles ont atteint environ un quinzième du montant initial HT du marché
ou de la tranche. À titre d’exemple, une augmentation supérieure à 7 % du coût d’exécution
des prestations, en raison de la hausse forte et imprévisible du prix du carburant en 2000, a
été considérée comme bouleversant l’équilibre financier du contrat (CAA Marseille, 17 janvier
2008, Société Altagna, n° 05MA00492) alors qu’une augmentation de l’ordre de 3 % a été
jugée comme n’ayant pas bouleversé l’équilibre d’un contrat (CE 30 novembre 1990, Société
Coignet entreprise, n° 53636).
Lorsque l’état d’imprévision est caractérisé, le montant de l’indemnité doit être déterminé au
cas par cas. La perte effective subie par l’entreprise étant la conséquence d’événements
extérieurs aux parties, elle ne peut pas être supportée par l’administration seule. Si la
jurisprudence a, en moyenne, fixé la part d’aléa laissée à la charge du titulaire à 10 % du
montant du déficit résultant des charges extracontractuelles, ce taux est néanmoins
susceptible de varier entre 5 % et 25 % en fonction des circonstances et notamment des
éventuelles diligences mises en œuvre par l’entreprise pour se couvrir raisonnablement contre
les risques inhérents à toute activité économique. Dans l’appréciation de ces diligences, il
convient bien sûr de prendre en compte les différences de situation des entreprises : les PME,
les TPE et les artisans n’ont pas les mêmes moyens que les grandes entreprises et les grands
groupes pour anticiper et couvrir les aléas extraordinaires susceptibles d’affecter leurs
approvisionnements.
4.-
Si le montant des charges extracontractuelles doit être évalué sur l’ensemble du contrat, et
donc à la fin de l’exécution de celui-ci, cette indemnité doit, au moins pour partie, être versée
de façon aussi proche que possible du moment où le bouleversement temporaire de
l’économie du contrat en affecte l’exécution. Dès lors, si le bouleversement temporaire du
contrat est d’une ampleur telle qu’il est évident qu’une indemnité devra en tout état de cause
être attribuée en fin d’exécution du marché ou que la poursuite même de l’activité de
l’entreprise est menacée par les difficultés de trésorerie et les pertes subies, les acheteurs
accorderont aux titulaires qui en font la demande des indemnités provisionnelles, mandatées
avec chaque règlement, à valoir sur l’indemnité globale d’imprévision dont le montant définitif
ne pourra être déterminé qu’ultérieurement. Le montant de ces versements provisionnels,
destiné à permettre à l’entreprise de faire face aux charges exceptionnelles qu’elle subit
momentanément, sera fixé en tenant compte des données de chaque espèce et notamment
de la situation du titulaire.
L’indemnisation d’imprévision ne peut pas, en principe, être formalisée dans un avenant au
contrat puisqu’elle n’a pas pour vocation d’en modifier les stipulations mais seulement de
compenser temporairement des charges extracontractuelles. Elle sera dès lors formalisée par
une convention liée au contrat, applicable pendant la situation d’imprévision et qui pourra
comprendre une clause de rendez-vous à l’issue du contrat de manière à fixer le montant
définitif de l’indemnité. - Le gel des pénalités contractuelles dans l’exécution des contrats de la commande
publique
L’augmentation des prix ne conduit pas, en elle-même, à une situation de force majeure
permettant au titulaire de se soustraire à ses obligations contractuelles. L’idée d’une « force
majeure financière » serait d’ailleurs incompatible avec la théorie de l’imprévision, conçue
précisément pour assurer la continuité du service public en assurant le titulaire que les
conséquences du bouleversement de l’économie du contrat seront, pour l’essentiel, prises en
charge par l’administration.
Néanmoins, à l’instar des mesures prévues par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020
dans le cadre de la crise sanitaire fiée au covid-19, je souhaite que l’exécution des clauses
des contrats prévoyant des pénalités de retard ou l’exécution des prestations aux frais et
risques du titulaire soient suspendue tant que celui-ci est dans l’impossibilité de
s’approvisionner dans des conditions normales. - L’insertion d’une clause de révision des prix dans tous les contrats de la commande
publique à venir
Enfin, je vous demande de vous assurer que les marchés conclus par vos services respectent
les dispositions des articles R.2112-13 et R.2112-14 du code de la commande publique qui
prohibent le recours au prix ferme lorsque les parties sont exposées à des aléas majeurs du
fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la durée
d’exécution des prestations et imposent que les marchés d’une durée d’exécution de plus de
trois mois qui nécessitent pour leur réalisation le recours à une part importante de fournitures,
notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations des
cours mondiaux, comportent une clause de révision de prix incluant au moins une référence
aux indices officiels de fixation de ces cours. Le non-respect de ces obligations est susceptible
d’engager la responsabilité de l’acheteur.
En outre, afin de ne pas pénaliser les entreprises, les formules de révision de prix ne
contiendront pas de terme fixe et les contrats ne contiendront ni clause butoir, ni clause de
sauvegarde.
5.- - Le traitement de difficultés analogues dans les contrats de droit privé
Si des entreprises venaient à signaler à vos services les mêmes difficultés dans l’exécution de
leurs contrats de droit privé, l’article 1195 du Code civil prévoit, pour ces contrats conclus
depuis le 1er octobre 2016, une obligation de principe, analogue à la théorie de l’imprévision,
de tirer les conséquences du bouleversement de l’équilibre économique du contrat par une
renégociation du contrat entre les parties ou par une modification ou une résiliation par le juge.
Cette disposition du code civil n’étant pas d’ordre public, elle peut avoir été contractuellement
aménagée ou écartée. Toutefois, compte tenu des circonstances exceptionnelles actuelles,
les parties peuvent convenir de neutraliser une telle clause limitative dans une logique de
répartition des aléas économiques.
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